- CULTURE
Beaudelaire face au street art : la culture générale étouffée par la culture particulière
Le coup de gueule de Mop contre le désert culturel de nos territoires. Elle veut un accès à la culture générale alors que l’on ne propose qu’une culture particulière. Mais La culture ce n’est pas seulement le rap et le street art. L’identité ce n’est pas uniquement les racines mais les fruits…

Des terres en friche, des graines non germées, des pousses en vrac, en bataille, des mauvaises herbes en pagaille, des corps sans colonne vertébrale, des vies sans langage, sans échanges, sans communication, des êtres tout entier occupés à manger, dormir, se reproduire. Pas de place pour le beau, le bon, le sublime, le merveilleux, l’imaginaire, le surprenant, le créatif, le magique … Nous ne laisserions entre la vie et la mort aucune trace tangible de notre passage. La culture atteste de notre appartenance à la communauté humaine. Dès lors, habitante d’un territoire de 240 000 personnes environ, pourquoi n’aurai-je pas accès à tout ce qui nous ressemble, à tout ce qui nous rassemble ? Et pour parler concret : à la belle architecture, à des équipements culturels dignes de ce nom, cinéma, théâtre, médiathèque, auditorium, musée, galerie d’art, à des lieux de rencontre conviviaux, cafés et restaurants tous publics ?
En passant par ma Lorraine
Depuis 15 ans que nous habitons Sarcelles et 10 ans travaillés à Villiers-le-bel, je trouve peu de place pour m’asseoir dans les minuscules bibliothèques de quartier, nous allons au cinéma hors de Sarcelles et Villiers-le-Bel, nous ne trouvons pas d’autres restaurants que chinois, turcs, marocains, italiens, je ne rentre pas dans les cafés chaldéens, seule femme que je suis et je ne vais jamais au spectacle à Villiers-le-bel.
Pourquoi devrais-je, parce qu’habitante de l’est du Val d’Oise écouter du rap, de la techno, de la musique afro-américaine, des musiques dites urbaines, pourquoi emmener les petits enfants écouter uniquement des contes africains, arméniens, arabes ou turcs, pourquoi aller uniquement aux commémorations toutes communautaires ou à la cérémonie d’attribution du nom d’une rue à une personnalité sportive, littéraire, artistique tout le temps étrangère ? Pourquoi m’initier obligatoirement au street art ?
Serai-je obligée de considérer les « belles –lettres » d’un côté et les slameurs de l’autre. Si j’ai accès aux slameurs, pourquoi pas aux belles-lettres ? Tous ces choix favorisent des réactions épidermiques qui, si l’assise culturelle et éducative est absente, font le lit du Front national.
Issue moi-même d’une région envahie par les trois guerres (1870-1914-1940), je n’ai jamais ressenti le besoin de célébrer ma Lorraine, de vanter ma quiche lorraine, mes mirabelles, ma gelée de groseille et ses grands-mères épépineuses de pépins à la plume d’oie. Je ne danse pas non plus en sabot en chantant à tue-tête « en passant par la Lorraine avec mes sabots, rencontrais trois capitaines, avec mes sabots dondaine oh oh oh avec mes sabots … » Je ne revendique pas plus Jeanne d’Arc et si ma mère me parle de la Gravelotte et me demande des nouvelles « du gamin », je sais traduire « gamin « par « enfant » comme je sais que le Gône est un enfant lyonnais et la Gravelotte un champ de bataille comme le Vercors un lieu de résistance.
Je sais la place des tireurs sénégalais et si un professeur d’histoire me raconte la place des australiens dans la guerre de 1940 à l’occasion d’une contemplation de statue, cela m’intéresse, même si ensuite j’ai oublié.
Hugo, Maigret et Rahimi
Ma culture particulière devient culture générale. Je sais autant qu’il existe un prix Pulitzer, qu’un ours de Berlin, un prix Nobel, une médaille Fields. Je sais écrire aussi bien le prénom Ryan que Kheloudja ou Elodie. Je sais lire et aime lire autant « Syngué sabour » d’Atiq Rahimi que « les Misérables » de Victor Hugo, « Les fleurs du mal » de Baudelaire ou « Les nuits difficiles » de Dino Buzzati.
Quand je m’adresse à une femme noire, elle n’est pas obligatoirement femme de ménage et si j’ai une amie juive, elle ne travaille pas dans le commerce ni dans un média journalistique. Car l’identité ce n’est pas uniquement les racines mais les fruits.
Alors pourquoi n’aurai-je pas dans le territoire où j’habite un accès à une culture générale alors que l’on ne me propose régulièrement qu’une culture particulière ? Propose-t-on aux ruraux uniquement des romans du terroir et aux provinciaux des polars type Maigret ? Vont-ils au théâtre pour ne voir que des vaudevilles ? Bien souvent, ils ont des équipements culturels d’excellente qualité avec une programmation variée et riche.
Je salue le travail de fourmi des acteurs culturels de ce territoire mais je regrette qu’on les abandonne en ne maintenant pas a minima ce dont ils ont besoin pour vivre. Je saisis l’opportunité de cette parole donnée aux habitants pour partager avec vous mes réflexions.
Par MOP (Sarcelles)