- Silence ça pousse
STEREOTYPES... Ré-Agissez !
Si comme moi habitante du Val d'Oise, vous travaillez à Paris et que vous prenez le métro vous avez du voir cette campagne d’affichage. Difficile de comprendre tout de suite de quoi il s’agit mais, comme le dirait notre ami La Fontaine, « nous l’allons montrer tout à l’heure ».

Ayant l’habitude d’emprunter les transports en commun tous les jours, je me suis toujours demandé s’il n’existait pas une « sociologie » des publicités dans le métro, les bus ou le RER. Il est trop rare de voir des affiches sur les pièces de théâtre du moment à la Gare de Villiers-le-Bel. Par contre des concerts de rap ou le dernier best-seller de Marc Lévy, il y en a à foison dans la ville. Cliché ?
Comme vous le savez les couloirs sont ornés de panneaux publicitaires qui attirent plus ou moins notre attention jusqu’au jour où l’on tombe nez à nez avec une affiche qui clame haut et fort : «A la boxe t’as que des Beurettes». Bigre ! C’est fort de café !
Je n’ai hélas pas eu le temps de freiner pour voir qui était l’annonceur. J’avais vaguement entrevu « Licra » et puis la flamme officielle des campagnes gouvernementales (petit drapeau). Alors je me suis donc engouffrée dans le premier train avec une seule hâte : retourner travailler le lendemain pour mieux scruter cette annonce choc.
Voilà comment j’ai pu découvrir l’existence d’autres slogans, si l’on peut les appeler ainsi : «C’est bien connu, les noirs ne savent pas nager» ou encore « Le ping-pong c'est vraiment un sport de chinois ». Il est clair que les annonceurs ont estimé que les campagnes classiques, perçues comme moralisantes, ou trop bien-pensantes, s’avéraient souvent inefficaces.
L’effet de surprise passé, ma première réflexion fut, comme dirait une jeune chanteuse à texte : "Et alors ?". A part renforcer les stéréotypes, à quoi sert cette campagne ? Bien au contraire, il est à craindre qu'elle ne contribue même à renforcer les clichés, les stéréotypes.
Mais quitte à avoir de l'audace et vraiment marquer les esprits, pourquoi ne pas aller encore plus loin, à l’instar des campagnes Benetton à l’époque. « Les noirs ne savent pas nager ... la preuve ils se noient dans la Méditerranée ». Quant aux beurettes, un truc dont la périphrase serait : « Elles font de la boxe, pourquoi à votre avis ? Se défouler, se défendre contre les méchants garçons des cités ? Ou bien elles cognent parce qu'elles n'ont pas d'autre moyen pour s'exprimer ? »
Shocking, n'est-ce pas ? Révoltant non ? tout aussi révoltant que les remarques et exclusions subies tout au long de l'année par ces noirs, ces beurettes, ces chinois… et la liste est longue..
Il est temps de vous révéler enfin qui est à l’origine de ces affiches. Après recherches, il s’agit de la campagne #CoupdeSifflet contre les comportements et préjugés racistes (dans le sport). Le Ministère de la Ville, de la Jeunesse et des Sports s’est donc associé à la Licra (Ligue Internationale Contre le Racisme et l’Antisémitisme), la Dilcra (Délégation Interministérielle à la Lutte Contre le Racisme et l'Antisémitisme) et la Ligue des Droits de l’Homme.
Tout ceci est fort louable. Or, sans parler du choix de la typographie difficilement déchiffrable (fond noir, texte barré), deux problèmes se posent et qui rendent l’exercice doublement périlleux :
le procédé rhétorique d’une part, à savoir l'ironie. A moins d’avoir révisé les figures de style avec Queneau, l’ironie est un procédé qui consiste à affirmer le contraire de ce que l’on veut faire comprendre. Il convient donc de le manier avec prudence car les nuances peuvent être difficiles à saisir. En effet, même pour un lecteur averti, il n’est pas donné à tout le monde de comprendre le 2ème ou 10ème degré d’une plaisanterie.
et, d’autre part, le recours aux stéréotypes pour soi-disant faire avancer le Schmilblick. Le stéréotype est « une idée ou image populaire et caricaturale que l'on se fait d'une personne ou d'un groupe, en se basant sur une simplification abusive de traits de caractère réels ou supposés. Les stéréotypes sont aussi vieux que l'humanité et reflètent l'idée que nous nous faisons de ceux qui sont différents de nous ». Source : Minidico d’idées féministes, Le monde selon les femmes, 2008.
Pour mémoire, de nombreux panneaux sur le territoire (notamment à Gonesse ou devant l’enseigne Lidl à Villiers-le-Bel) avaient relayé courant avril une autre campagne de sensibilisation sur la discrimination à l’embauche ; elle s’intitulait #LesCompetencesDabord. Même si cette zone est affligée par un fort taux de chômage, surtout chez les jeunes, là encore, « et alors ! ».

Dans la société, certaines croyances sont tellement intériorisées, intégrées qu’elles finissent par être ancrées dans l’imaginaire collectif. Au risque de conforter à la fois les discours prétendument racistes ou les discours prétendument victimaires.
D’ailleurs, les personnes concernées par ces stéréotypes, ces discriminations, en ont sûrement assez d'être stigmatisées, instrumentalisées, même par ceux qui prétendent les défendre. En outre, à force de toujours tout catégoriser, le risque est qu’il y a toujours des oubliés (les jeunes, les seniors, les femmes, les personnes en situation de handicap…). Ce que les gens attendent, ce sont des actions concrètes sur le terrain de l'éducation, sur le terrain de l'emploi, sur le terrain de la justice. Stop aux vœux pieux sur le papier qui jouent trop souvent sur les vieux clivages dominant/dominé et qui divisent. La situation ne se résume pas simplement à la couleur de peau ou au sexe, le mal est plus profond.
Le remède tient en un mot-clé : l’éducation. Car il est temps d’apprendre à décrypter, déchiffrer, décoder les différents messages pour enfin parvenir à déconstruire ces fichues croyances.
Enfin, reconnaissons tout de même une vertu à cette campagne #CoupdeSifflet (et peut-être l’autre également), elle peut susciter des débats intergénérationnels.: on imagine les parents entre 45-65 ans qui diraient que "ce n'est pas grave, grave" à force d'abnégation et de résignation tandis que les enfants pourraient être heurtés par ce discours car ils font partie de cette génération Millennials qui veut agir, qui veut prendre la parole et ne pas laisser quelqu’un parler ou décider à sa place.
Par Saliha Medarbi