- Venise bitch !
Ils ont ri ri ri !
A notre très chère et orgueilleuse Europe décadente, boursouflée de ces beaux principes d’humanité qu'elle n'applique jamais mieux qu'à elle-même. Exclusivement.

Ils ont ri. Il est mort.
Ils ont ri. Il s’est noyé.
Dans leurs rires. Dans les peaux de bananes lancées.
Dans les pièces porte-bonheur qui ont été lancées.
Au loin, portés par les flots, leurs rires résonnent encore.
Chargé de rire et de colère, un homme est mort.
L’eau monte ne dirait-on pas ?
Place St Marc. Palais des Doges, chatouillés par le ressac.
On a beau secoué ses pieds, éviter les flaques, slalomer, l’eau s’insinue.
L’eau veut parler. A quelque chose à dire. Plus personne au sec. Personne à l’abri.
L’eau a quelque chose à dire semble-t-il
Aux abris ! Les flots montent ! Grondent !
Ceux qui ont ri, qui ont ri, qui ont ri, smartphone dégainé, ceux-là là, qui ont lancé peaux de bananes, crachats, quolibets et pièces de monnaie, ceux-là là aujourd’hui, ont le pied humide.
Eau jusqu’aux genoux ! Que Dieu nous vienne en aide !
Les plus agiles se sont perchés, très haut. Ils ne rient plus. Du haut des cimes des toits, ils ne tendent pas la main. Encore une fois, ils regardent se noyer des hommes, des femmes, des enfants. Leurs compatriotes. Ils rétractent leur bras, jusqu’à l’ongle. Chacun pour soi et moi au sec.
Les rires se sont tus.
Entendez-vous ?! Ce rire… Plein d’eau. Rire bouche déformée. Pleine. De crachats, peaux de banane, quolibets et pièces.
C’est le noyé. Le réfugié ! Voilà qu’il rit.
Au fond de l’eau, lui, d’autres hommes, des femmes, des enfants ont trouvé - enfin – refuge. Fond de l’eau tapissé d’os, de chairs putrides et de pièces de monnaie sans bonheur.
L’eau. Partout désormais. Et voilà qu’ils crient. Des vénitiens, badauds, touristes. Même ceux haut perchés, l’eau est là, venue les chercher. De Venise on ne reconnait plus rien. Citée engloutie.
Mer double épaisseur, de pleurs et rires confondus
Vous avez vu ? Ce smartphone qui flotte ?
Il diffuse en boucle le film de cette légende qu’on raconte depuis ;
Qu’il y avait un homme, si c’était un homme, un réfugié exactement, à l’eau tombé, pour se suicider il parait, à Venise, oui cette ville qu’on appelait la cité des amoureux, mais c’était il y a longtemps. Cette ville n’existe plus. Cette ville est devenue un cimetière sous-marin.
On dit que les vénitiens, pas tous mais certains, des badauds, des touristes, ont laissé cet homme, ce refugié se noyer.
On raconte que ce refugié a sauté parce qu’il savait que personne ne viendrait le sauver.
Que l’Europe resterait au bord, à le regarder se noyer.
On raconte qu’ayant eu raison, en colère, le noyé a ouvert la bouche, a aspiré toute l’eau de la mer puis dans un rire de furie, l’a recrachée pour engloutir tout Venise, ces habitants et touristes et badauds qui de lui avaient ri.
Parce qu’au fond de l’eau, le noyé voulait rire avec ceux qui de lui avaient ri ri ri.
La légende ne dit pas si au fond de l’eau, ensemble ils rient rient rient. Mais chaque 22 janvier, si vous tendez l’oreille, au loin vous pouvez parfois entendre des rires ou des pleurs.
L’eau accueille tout le monde et ça au moins c’est une bonne nouvelle !
Par De Mio