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LES MISERABLES, n’est pas un film sur les banlieues, mais pour les banlieues


Les Misérables est en lice pour les Oscars pour représenter la France, dont la cérémonie se déroulera cette nuit du 9 février à Hollywood dans la catégorie Meilleur film étranger. Déjà en mai 2019, il avait ébloui la Croisette. Ce film social est une chronique dans la vie d'un quartier défavorisé de la ville de Montfermeil (Seine-Saint-Denis). Caméra au poing, Ladj Ly filme avec une précision quasi documentaire une bavure policière.

© Amazon Studios

Beaucoup présentent le premier film de Ladj Ly comme un film coup de poing. Certes oui, pour ceux qui ne vivent pas cette réalité là. Mais pour tous les banlieusards, ce n’est qu’un pan de ce qu’ils vivent presque au quotidien.

Le titre du film révèle déjà l’audace de son auteur : oser l’emprunter à un monument de la littérature française. L’affiche du film Les Misérables présente une foule festive, rassemblée dans un moment de bonheur, des drapeaux bleu-blanc-rouge flottant dans l’air. Au milieu de ce peuple communiant dans la Liberté et Fraternité, le jeune Issa (Gavroche) est monté à Paris le temps de célébrer la coupe de monde de football remportée par l’équipe de France en 2018. Pour l’Egalité, autre devise républicaine, Ladj Ly nous invite à nous rendre de l’autre côté du périphérique, à Montfermeil et plus précisément la cité des Bosquets.

Il nous invite à découvrir ce que les journaux télévisés qualifient de « territoires », de « no-go zones » depuis les émeutes de Clichy-sous-Bois de 20051. Ce qui renforce ce sentiment de rejet, d’exclusion de la part des habitants qui y sont enfermés.

Finalement, on s’aperçoit qu’on peut finalement s’y rendre. Comme le suggère Oxmo Puccino dans une de ses chansons2, il nous dit « Viens voir comment ça se passe avant de parler ». On assiste au voyage en RER du flegmatique Brigadier Ruiz/Pento (Damien Bonnard), fraîchement muté de la ville de Cherbourg et qui effectue son premier jour au sein de la BAC –la Brigade Anti-Criminalité- aux côtés de Chris, le fou furieux (Alexis Manienti) et Gwada, la force tranquille (Djebril Didier Zonga), qui connaissent bien le quartier puisqu’ils sont « là depuis dix ans ».

Habitants comme policiers partagent donc les mêmes conditions de vie difficiles. On assiste par exemple à des jeux improvisés au milieu d’un terrain vague, des enfants glissant dans des toboggans de fortune. Quel cadre pittoresque pour passer ses vacances d’été !

Ladj Ly - Realisateur des Misérables © Amazon Studios

Le tour de force de Ladj Ly est de tourner avec habilité certaines séquences de cette chronique au moyen d’un drône, comme pour plonger dans la ville de Montfermeil. C’est une façon de prendre à la fois de la hauteur et d’avoir une vue d’ensemble sur le quotidien de ces familles qui vivent encerclées dans leurs barres HLM.

Vus d'en haut, ces bâtiments sont imbriquées de telle façon que l'on dirait un labyrinthe, où l'on peut vite se retrouver encerclé, enfermé. Au fur et à mesure, on découvre le dédale des rues lors des rondes des policiers à bord de leur véhicule banalisé. L’on sent bien la bonne volonté de la nouvelle recrue de respecter les procédures, comme arborer son brassard à chaque intervention. Mais en réalité, tout le monde se connaît et les nouvelles se répandent comme une traînée de poudre. C'est un véritable microcosme. Les gens n’ont apparemment pas d’autres choix que de prendre leur destin en mains. On assiste aux petits arrangements à tous les niveaux, où les gens vivent d'expédients, où le système D flirte parfois avec l'illégalité (prêts entre femmes, ou tontine).

Les femmes et les enfants d’abord

Outre les Javert du 21ème siècle, les "Bacqueux", les femmes sont importantes dans le film, même si on ne les voit assez peu. Ce sont des femmes fortes, des femmes protectrices, prêtes à défendre leur enfant comme des lionnes. Comme cette mère courage, faisant face aux policiers, et leur demande pourquoi les enfants se mettent à courir dès qu’ils voient un de leurs représentants. La défiance finit par être mutuelle. Quand sera-t-il possible de renouer le dialogue ?

Et la mère de Gwada, qui console son fils, toute en retenue et dont le silence est plus éloquent qu’un long discours.

L’autre message fort du film concerne la jeunesse. Les enfants font l’objet de nombreuses convoitises, leur destin peut basculer à tout moment. d’un côté, avec les discours religieux et pacifistes des « Frères »3, hommes barbus prêchant la bonne parole et offrant des bonbons pour attirer dans leurs filets de jeunes désœuvrés. Ou de l’autre, la délinquance et ses différentes ramifications. Toute la subtilité du réalisateur est d’éviter le piège du sensationnalisme, du stéréotype. le spectateur ne verra donc pas de trafiquants de drogues ou d’armes.

En parlant de destin, nous assistons au désarroi et à l’impuissance des familles. Il y a ce père dépassé par les événements, dont le fils fait bêtise sur bêtise. ce père qui ne trouve pas les mots pour parler à son fils, lui crie dessus ou le frappe. Ce fils, c’est Issa, qui un jour ne sachant que faire, s’amuse à voler un lionceau dans un cirque voisin.

Buzz et son drone © Amazon Studios

Ou ce père qui réveille son fils de bon matin. Parce que, paraît-il, l’avenir appartient à ceux qui se lèvent tôt. Mais surtout de son temps, la rue éduquait. Ne sait-il donc pas que cela peut aussi être le lieu de tous les dangers ? C’est le père de Buzz, ce jeune garçon timide qui a un passe-temps loin de la rue. Il ne parle pas beaucoup, mais il voit tout. Perché sur les toits de son bâtiment, il filme des séquences de vie grâce à son drone.

Tout comme le spectateur est invité à entrer dans l’univers des habitants : à l’intérieur de la rame de RER, dans les appartements, dans les cages d’escalier où l’insalubrité règne et dans la cage aux fauves, c’est à travers les yeux, ou plutôt les lunettes du timide Buzz, que l’on voit.

C’est lui qui a filmé la bavure avec son drone. Après une enquête au cœur de la cité, où l’on retiendra les paraboles de Salah et le tonitruant (faux) maire, les policiers finissent par découvrir qui est à l’origine du vol. C’est en voulant l’appréhender que le pire arrive : à cause de l’un d’entre eux, Issa/Gavroche va finir par « tomber par terre », « le nez dans le ruisseau »4 ou plutôt dans le bitume.

Avant que la bavure n’ait lieu, le calme n’était qu’apparent. A l’instar du climat social, la tension est palpable, la situation est explosive et le réalisateur décrit très bien ce sentiment que l’on ne pourra pas retenir longtemps cette pression. D’ailleurs, les plans séquence en drone permettent au spectateur de reprendre sa respiration après le rythme haletant des courses poursuites.

“Mes amis, retenez ceci, il n'y a ni mauvaises herbes ni mauvais hommes. Il n'y a que de mauvais cultivateurs.”

Dans ce film, tout passe par les gestes, les regards, on se toise, on se jauge. Il y a de la défiance, de la méfiance. Cela se traduirait par le fait qu’il ne faut plus jamais fermer les yeux sur ce qui se passe réellement dans les banlieues. Ces quartiers ont été abandonnés depuis plus de quarante ans. Il y a urgence à AGIR. Et dans le contexte actuel des Gilets Jaunes et les dénonciations des violences policières, les grondements sont perceptibles.

Ladj Ly filme cette chronique sans manichéisme, car il a toujours voulu faire un cinéma qui lui ressemble. Dans sa jeunesse, il a eu maille à partir avec les autorités, il a même fait de la prison pour diverses raisons. Ainsi, il a lui-même été témoin et victime de plusieurs interpellations, parfois musclées comme dans le film. C’est pour dénoncer le caractère abusif de certaines interventions parfois musclées de policiers, qu’il s'est exercé au métier de cinéaste en dégainant sa caméra comme d'autres dégainent leur flash Ball.

Ladj Ly vu par l'artiste JR - © JR

En 1994, Ladj Ly avait filmé une bavure policière. Sur les conseils de son ami Romain Gavras, co-fondateur de Kourtrajmé5, et de son père, le réalisateur engagé Costa Gavras, il a décidé de la rendre publique en la remettant à des journalistes de Rue89. C’est dans cette même perspective que Buzz (interprété par la propre fils de Ladj Ly), s’en remet aux adultes, à celui qui en fera le meilleur usage pour faire éclater la vérité.

Le réalisateur maîtrise sa technique : sa caméra prend de la hauteur en survolant les barres de HLM, fait des mises au point puis un zoom serré dans une cage d’escalier où tout va se jouer. Sans divulguer toute la trame du film, on serait tenté de se demander : Alors, « la prochaine fois, le feu?6 », en résonance au livre de l’excellent James Baldwin ? Tout comme Baldwin, Ladj Ly fait preuve de subtilité. La fin du film reste ouverte et s’achève sur une citation de Victor Hugo : « Il n’y a ni mauvaises herbes, ni mauvais hommes. Il n’y a que de mauvais cultivateurs ». Alors que les cultivateurs de bonne volonté s’en viennent comparaître au pied de nos banlieues.

En effet, les autres représentants de l’autorité publique, tels que le maire ou les politiques sont les grands absents dans le film. Comme pour figurer le résultat de leurs politiques (PLU par-ci, ANRU par-là) : la vie des concitoyens n’a fait que se dégrader au fil des années. Il leur appartient désormais de prendre les bonnes décisions, radicales, pour rendre ces lieux habitables et dignes. Que ces lieux deviennent autre chose que le terreau de différents maux de notre société en raison de l’absence de mixité sociale.

Repeindre une cage d’escalier revient à mettre un pansement dans une jambe de bois. Résidentialiser les immeubles pour soi-disant les sécuriser n’a consisté qu’à ériger des murs et des barrières supplémentaires pour davantage assigner les habitants à résidence. Le mot-valise « vivre-ensemble » doit retrouver tout son sens car il nous appartient d’apprendre à vivre ensemble simplement, au nom de la Liberté, la Fraternité, et l’Égalité.

Par Saliha Medarbi

Références :

1 Après la mort de Zyed et Bouna, électrocutés dans un poste électrique alors qu’ils tentaient d’échapper à un contrôle de police. On se souviendra également des événements de Villiers le Bel en 2007.

2 Peu de gens le savent (Album Opéra Puccino)

3 en référence aux « grands frères » appelés en renfort dans les quartiers surtout dans les années 80 ou les « frères musulmans » ?

4 les dernières paroles de Gavroche, avant de mourir dans les barricades, « Je suis tombé par terre, C’est la faute à Voltaire, Le nez dans le ruisseau, C’est la faute à Rousseau »

5 Kourtrajmé (court-métrage en verlan) est un collectif d'artistes créé dans les années 1990, soutenu par de nombreuses personnalités du monde du cinéma et de la musique : Vincent Cassel, Mathieu Kassovitz ou encore Oxmo Puccino, le photographe JR. Cette école de cinéma offre une formation gratuite aux bénéficiaires issus de banlieues défavorisées. Avant de devenir le long métrage au succès que l’on connaît, Les Misérables a d’abord été un court-métrage.

6 The Fire Next Time (1963)

BANDE ANNONCE LES MISÉRABLES (2019)

Affiche du court métrage : Les Misérables (Ladj Ly / 2017)

avec Damien Bonnard, Djebril Didier Zonga, Alexis Manenti.

A voir aussi

Villiers-le-Bel, les maux pour le dire

Documentaire de Stéphane Bentura,

Sarah Lebas et Ladj Ly - 2008

#villiersleBel #ladjly #lesmisérables #visagonews

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