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Une maitresse de maternelle déroutée
Vous avez des enfants qui suivent l’école à la maison ? Vous vous demandez comment ça se passe de « l ’autre côté » ? « Ydna » est instit dans une maternelle de banlieue. Elle raconte son quotidien confiné, entre instructions contradictoires, moyens limités et difficultés socio-culturelles...

Le jeudi 12 nous apprenons que dès le lundi16 mars, les écoles seront fermées pour confinement.
Le vendredi 13, notre directeur nous convoque à 12h pour un point. Les premiers mots sont : « ne croyez pas que vous serez payer à rien foutre…l’inspecteur insiste pour que sachiez que vous êtes en activités et non en vacances ».
Le ton est donné. Journée assez particulière où nous devons travailler, avancer dans notre programme, tout en expliquant à des élèves de maternelle que l’école ferme un peu plus tôt (3 semaines en avance) à cause d’un virus.
Le directeur nous demande de créer des boites mails, afin de pouvoir échanger avec les familles. On les fait sur le temps de la pause déjeuner… on ne sait pas trop comment ça va se passer.
Le directeur nous informe qu’une réunion aura lieu le lundi 16 mars avec l’inspecteur, afin d’avoir les directives de travail et nous demande de ne pas venir à l’école lundi. Dans l’après-midi, il nous envoie un nouveau message nous demandant de venir. Il dit ne pas vouloir nous mettre en porte à faux face à l’inspecteur. Je suis étonnée, pourquoi nous demander de venir dès 8H30, alors que la réunion à lieu à 10h. Il serait plus logique de nous faire venir pour 13h30 soit après la dite réunion avec l’inspecteur.
Je choisis d’y aller avec mon fils de 4 ans à 13H30. J’en profite pour récupérer du matériel dans ma classe, pour faire du rangement… Dans le bureau du directeur nous sommes 4 enseignantes sur 14 ! On discute un peu, on fait un état des lieux de tous les parents qui travaillent dans le milieu hospitalier, afin d’organiser l’accueil de leurs enfants. Je me suis déplacée pour à peine 1 heure de travail et aucune information complémentaire.
Pareil, je me dis pourquoi on nous demande à nous les enseignants de venir garder les enfants du personnel soignant. Ne serait-ce pas aux personnes qui le font habituellement de le faire ? Mais bon sur le principe de solidarité pourquoi pas. Mais dans un petit coin de ma tête, j’entends surtout qu’il ne faut pas laisser les enseignants se croire en vacances donc…
Les Loulous au bout du fil
La première semaine on tâtonne un peu, à quelle fréquence proposer les devoirs, tous les jours ? Tous les 2 jours ? Une fois par semaine ? Le ministre propose des cours via le CNED…Ils ont balancé ce programme qu’on ne connait pas. Pour ma part je ne l’utilise pas, beaucoup trop dense à mon goût pour les parents et les élèves.
La première semaine, on essaie avec les collègues d’être unis et de partager nos ressources et d’envoyer les mêmes documents. Mais à la fin de la première semaine, c’est déjà chacun pour soi et Dieu pour tous.
On nous demande d’appeler les élèves une fois par semaine et les plus fragiles jusqu’à 2 fois par semaine. Je suis d’abord outrée de cette demande. Appeler avec mon téléphone personnel ? Déjà qu’on utilise nos propres ordinateurs…( des entreprises fournissent les outils pour le télétravail…mais pas nous !!! ) Le directeur nous dit de ne pas oublier de faire #31 # pour masquer notre numéro… Finalement l’idée ne me semble pas trop saugrenue, après tout, je n’ai pas beaucoup de retour par mails, ni sur l’application de liaison (klassroom) que j’ai mis en place depuis le début de l’année scolaire. Certains parents bloquent les numéros masqués, du coup j’appelle en affichant mon numéro, en leur précisant de ne pas l’utiliser trop fréquemment.
Au bout du fil, je suis ravie d’entendre mes loulous, j’entends aussi des parents qui sont déboussolés, ne savent pas trop comment faire ; qui font du télétravail et ont du mal à tout gérer. Je me retrouve aussi avec des parents qui n’avaient pas ouvert le cahier de liaison dans lequel j’avais mis le mot avec l’adresse mail pour me contacter, je note leurs adresses mails, et leur envoie en direct les mails déjà envoyés. Je me retrouve aussi bloquée par la barrière de la langue (chinois et roumain…). Les 27 appels me prennent plus de trois heures. Après le dernier coup de fil, je suis exténuée, mais contente.
J’ai rassuré les parents au mieux, entendu la voix de mes élèves. Depuis je reçois des retours des parents par mails mais aussi sur « Klassroom ».
La continuité, ça marche… dans les beaux quartiers
Je propose aux parents des activités à imprimer pour ceux qui peuvent, mais aussi des activités à faire soi-même. Mais je me rends bien compte que tous ne sont pas équipés (Feutres, pâte à modeler, lego…). Je leur propose des défis mais ils ont du mal à les réaliser, certains parents ne savent pas lire, quand il y a des ainés dans la fratrie, ils peuvent aider les petits. Ça n’est vraiment pas évident. Je leur propose des recettes, de pâtes à modeler maison ou encore de gâteau.
Je mets mon directeur en copie de tous les mails que j’envoie aux parents, je mets aussi les activités sur Klassroom, pour être certaine que le maximum d’élèves obtient l’information. Je n’ai plus trop de nouvelles de mes collègues, je ne veux pas submerger les parents de devoirs, j’ai entendu leurs difficultés de les occuper, qu’ils n’ont pas toujours le matériel…etc. Sans compter que je pense à cet enfant décédé suite aux coups donnés par son père en faisant les devoirs.
J’entends le ministre dire que la continuité ça marche bien, et que nous avons perdu entre 5 et 8% des élèves, sûrement pour les enfants des beaux quartiers, mais je pense que dans nos quartiers ce pourcentage est plus élevé. Ce confinement renforce les inégalités pédagogiques. Comment faire sans moyens. On nous a demandé de venir à l’école pour venir donner aux parents qui ne peuvent pas imprimer, le travail. Je refuse de me déplacer, je n’en vois pas l’utilité, et je suis fatiguée de toutes ces injonctions. J’envoie au directeur le fichier pour qu’il l’imprime et le donne aux parents qui viendront.
Ce confinement creuse l’écart entre les élèves. On se retrouve seul avec la plateforme du CNED, avec des parents qui ont la volonté de bien faire mais qui n’ont pas les moyens d’y arriver. Ils n’ont pas l’habitude de faire des activités, ils baissent les bras et laissent plutôt leurs enfants devant la télé ou les consoles de jeux. Nous sommes à la semaine de vacances. Mais je refuse de laisser les parents seuls dans ce contexte si particulier. Alors cette semaine pas de travail, mais des appels téléphoniques et la semaine prochaine nous reprendrons nos activités.
Je suis épuisée psychologiquement car je réfléchis constamment à quoi proposer de pédagogique et d’accessible à tous avec peu de matériel, pour ne laisser personne sur le bord de la route de la réussite scolaire. Sans compter les membres de l’entourage (famille, ami(e)s…) qui, ne cessent de commenter et d’envoyer des messages, pour dire que nous sommes « encore » en vacances, qu’ils espèrent que les vacances d’été seront raccourcies.
En espérant que tout ça se termine au plus vite et que nous puissions retrouver le chemin de l’école début mai.
Par Ydna
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